Le journalisme de solution apparaît peu à peu dans nos rédactions et fait partie des enseignements clés de notre école. Mais qu’est-ce qui se cache derrière ce terme ? Pour William Buzy, cofondateur des médias Impact(s) et Territoires Audacieux et intervenant à l’ESJ Paris – Grand Lille, c’est avant tout une manière de repenser la mission du journalisme. Entretien.
Qu’est-ce que le journalisme de solution ?
William Buzy : D’une manière générale, ce terme désigne la couverture rigoureuse et convaincante des réponses apportées aux problèmes de société. Le Solution Journalism Network, qui est la grande organisation internationale des journalistes de solution, propose quatre grands critères : Le reportage doit se concentrer en détail sur la réponse à un problème et comment celle-ci fonctionne, et non sur des « héros » ; Il doit mettre l’accent sur l’efficacité — et non sur les bonnes intentions — en présentant les preuves de résultats relatif à la solution proposée ; Il doit traiter rigoureusement des limites de l’approche en question ; Il doit chercher à apporter un éclairage nouveau à partir duquel d’autres pourront tirer des leçons, ou reproduire la solution.
En quoi diffère-t-il du journalisme dit « classique » ?
W B : En termes de travail journalistique, c’est rigoureusement identique aux pratiques de tous les autres styles : l’actualité, le grand reportage, l’investigation… Ce sont les mêmes pratiques, les mêmes exigences en matière d’enquête, de vérification des sources, de hiérarchisation. La seule différence, c’est dans la manière de traiter le sujet. Là où un reportage dit « classique » va dénoncer un problème de société, le journalisme de solution va chercher à dénoncer ce problème par le prisme d’une réponse possible. En réalité, c’est une question d’angle. De là où on décide de poser son regard. Il ne s’agit pas d’occulter le problème, mais d’en parler par le prisme d’une réponse possible. À cet égard on comprend qu’il n’y a pas les journalistes d’un côté et les journalistes de solution de l’autre, comme on parlerait de journalistes de sport et de journalistes politiques. N’importe quel journaliste, sur n’importe quelle thématique, peut choisir un angle axé sur une réponse possible au problème plutôt que sur le problème uniquement.
Là où un reportage dit « classique » va dénoncer un problème de société, le journalisme de solution va chercher à dénoncer ce problème par le prisme d’une réponse possible.
De plus en plus de médias traditionnels créent des rubriques ou des formats sur cet angle. Quelles opportunités selon vous, ce type de journalisme offre-t-il à nos rédactions ?
W B : Plusieurs études ont montré les effets positifs du journalismes de solution pour un média : en moyenne, un article de ce type est plus lu, plus partagé, favorise l’adhésion du lecteur au média et donne une très bonne image du journaliste qui a écrit le papier. Il y a donc des opportunités d’audience, pour être pragmatique. Mais aussi plus fondamentalement une réelle adhésion du public qui peut recréer de la confiance entre les médias et leurs lecteurs. Mais au début, les grands médias traditionnels étaient très réservés car ils avaient une image biaisée de ce qu’ils pensaient être le journalisme de solution. Certains avaient peur de dérives de type culte du héros, remède miracle, promotion, militantisme… En réalité, ces risque de collusion entre le journalisme et la communication sont le quotidien des reporters. Et le journalisme de solution n’est pas plus exposé à ce piège que les autres. D’autres confondaient l’aspect constructif de ce travail avec un positivisme aveugle. Petit à petit, de plus en plus de journalistes ou de médias indépendants ont publié des reportages et des enquêtes de solution de grande qualité, et tout le monde a bien vu que le public était très réceptif à ce genre de sujets, et en redemandait. The Guardian en Grande-Bretagne s’est lancé, puis le NY Times, et à partir de là, tous les autres ont suivi.
Il ne s’agit pas de dédramatiser, mais de proposer des reportages constructifs.
Pourquoi selon vous, ce type de journalisme est-il si récent ? Qu’est-ce que cela dit de notre époque ?
W B : Les médias ont beaucoup carburé au dramatique. Pas nécessairement au drame, mais à une narration dramatique, qui a conduit à faire du moindre événement un enjeu majeur. Avec l’explosion du hard news, les gens ont été exposés 24 heures sur 24 à une information qu’ils ont fini par percevoir comme complètement anxiogène. Le journalisme de solution existe quand même depuis 15 ans, mais il a peut-être davantage émergé ces deux ou trois dernières années parce qu’on est arrivé à un point de rupture : les lecteurs ont été submergés par les vagues d’informations violentes qui leur tombaient dessus en permanence et se sont sentis impuissants face à ces enjeux (le climat par exemple, mais pas seulement), donc incapables de faire quoi que ce soit. Avec le journalisme de solution, on vient dire : « si je me contente de dénoncer le problème, je risque de créer de la résignation. Si en face du problème que je dénonce je mets en lumière un levier d’action qui a eu un impact positif, je peux transformer cette résignation en envie d’agir ».
Dans la crise sanitaire que nous vivons actuellement, le journalisme de solution a-t-il un rôle singulier à jouer ?
W B : Évidemment, dans un tel contexte, une couverture rigoureuse et pertinente de ce qui semble fonctionner face à la crise est primordial. Il ne faut pas tout mélanger pour autant et ne pas se tromper d’objectif. Il ne s’agit pas de rassurer les gens ou de dédramatiser, mais de proposer des reportages constructifs, utiles, avec un minimum de recul malgré l’urgence, pour offrir une information équilibrée et permettre à chacun de prendre les meilleures décisions possibles.
Propos recueillis par Théo Debavelaere, étudiant en M2 – promotion 2020
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